« De misères et de Gloire »

J’ai fait un rêve (et je ne suis pas le premier… !)

          Je voyais passer une annonce : « Le congrès pour la restauration du plain chant et de la musique de l’Église se tiendra du 27 novembre au 1er décembre, à la Société d’encouragement des Beaux-Arts et de l’Industrie, 44, rue Bonaparte. Paris ». Ce congrès concernait 174 participants dont de nombreux ecclésiastiques, organistes, maîtres de chapelle et même deux facteurs d’orgues ! Dans les rêves tout est permis, et je me disais :
« génial ! l’Église avance ! »

À l’image de Perrette et son pot au lait, je voyais :
– des maîtrises d’adultes et d’enfants, chantant à pleine voix
– des chœurs mixtes ou non, chantant à pleine voix
– des ensembles vocaux, chantant à pleine voix
– des chœurs grégoriens, chantant à pleine voix (oui enfin pas trop quand même hein ?)
– des chantres, chantant à pleine voix (pas trop non plus hein, on n’est pas à l’opéra !)
– des organistes souriants (parfois il vaut mieux qu’ils ne chantent pas, on ne dira pas de nom ici…)
– des fidèles heureux face à toute la beauté qui jaillissait de nos églises, eux aussi chantant à pleine voix
– puis des amateurs de musique sacrée (même non croyants) venus tendre une oreille aux célébrations et surtout, plus de virus.

Bref, le bonheur retrouvé.

Et comme Perrette, patatras, la date du congrès tombe… c’était en 1860 qu’il eut lieu…
Dommage.

Parmi les participants, figurait un jeune organiste brillant : Alexis Chauvet, 23 ans, qui à cette date venait d’être fraîchement diplômé. Il sera nommé cette année-là à Saint-Thomas d’Aquin à Paris. On le trouve 6 ans plus tard à Saint-Merry. Il mourra à 33 ans atteint de phtisie, mais surtout de l’agression subie quelques jours avant sa mort le 28 janvier 1871, dans les environs d’Argentan (il fut pris, de par sa haute taille et sa barbe rousse, pour un espion prussien et roué de coups, il décéda quelques jours plus tard)…*

 Aujourd’hui (1) on tue un chauffeur de bus pour une nécessaire remarque sur le port du masque…

C’était un orgue de 4 siècles, celui de la Cathédrale de Nantes.
Il est parti en fumée en juillet dernier, comme un prélude à cette canicule qui a suivi. C’est un cauchemar éveillé, qui… réveille l’autre cauchemar d’avril 2019 : Notre-Dame de Paris.
Les mêmes images ou presque, et puis cette certitude qui naît : derrière la rosace, c’est l’orgue qui brûle. On se repasse les souvenirs des sculptures, de la tuyauterie de Clicquot, de la grande montre où était gravé le nom de celui qui l’avait sauvée en 1792 (2) en jouant les hymnes à la déesse Raison… puis l’acte héroïque des facteurs d’orgues (Joseph Beuchet, toujours vivant), et ceux qui, en 1972, avaient eu l’idée de la bâcher pour le protéger des ruissellements d’eau…

Et il faut aussi évoquer la disparition de la console du magnifique orgue de chœur, le plus grand de France avec ses 3 claviers et 36 jeux, qui remplissait magnifiquement le long vaisseau. Il semblerait (d’après ce que l’on sait à l’heure où j’écris ces lignes) que la partie sonore n’ait pas souffert. Nous publions ici l’émouvant témoignage du Maître de chapelle, Monsieur Etienne Ferchaud.

Le grand orgue de Notre-Dame est en restauration, l’orgue de chœur le sera aussi bientôt. C’est un drame à la fois culturel mais aussi humain lorsqu’un orgue disparaît. Il faut ensuite avoir une nécessaire période de deuil après l’abattement.

Bien souvent nos instruments, qui sont nos compagnons de route, en savent plus sur nous que nos confesseurs, conjoints ou psy ! Inconsciemment, nous leur livrons nos plus intimes secrets, sans le passage par les mots. Nos prières passent par leur respiration illimitée puis se transmutent en sons et s’unissant aux voix portent cette offrande au plus haut du ciel pour la plus grande gloire de Dieu, dont on parle dans ce numéro.

L’instrument entre ciel et terre (ou vice versa), est destiné, en liturgie certes, mais aussi au concert (je parle évidemment des orgues situées dans les églises), à « élever puissamment les âmes vers Dieu (3). Ce faisant, il destine l’organiste à répondre à cette invitation. Un orgue est un représentant de l’histoire culturelle et patrimoniale locale et aussi, mémoire de la prière des chrétiens qu’il a portée en son service, tant dans l’accompagnement que dans le répertoire qu’il a joué.

C’est pourquoi, nous autres organistes, ses animateurs (4) en liturgie, ne pouvons passer à côté ou ignorer cette mission et ce service, quelles que soient les circonstances .

Dominique Joubert
Diacre permanent et organiste titulaire de la Cathédrale de Valence

Notes :
1) Été 2020
2) Denis Joubert (sans lien de parenté avec votre serviteur)
3) Constitution Sacrosanctum Concilium
4) C’est-à-dire « ceux qui donnent l’âme »

Catégories : Préludes

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